De Stravinsky à Dusapin, cent ans de tapages aux Champs-Elysées
Le 27 avril 1983, un jeune compositeur dont la taille avoisine les deux mètres se penche aimablement vers une auditrice d'âge mûr venue, croit-il, le féliciter après la création de sa première grande page d'orchestre. La dame lui pose une question et, prise d'une rage soudaine, tente de le frapper à coups de sacs à mains. Elle trouve inadmissible que l'argent du contribuable (l'œuvre qui vient d'être interprétée, Tre Scalini, émane d'une commande de Radio France) ait servi à produire une telle cacophonie. Le géant se nomme Pascal Dusapin et la scène se déroule au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris.
70 ans plus tôt, à un mois près, un autre compositeur – Igor Stravinsky – a failli être molesté, au même endroit, par une foule en furie. La célèbre salle de l'avenue Montaigne, qui fête aujourd'hui son centenaire, abriterait-elle un microclimat susceptible de pousser le public à des actes de violence ? On le croirait en relisant son histoire sous l'angle des scandales.
Le premier d'entre eux a donc lieu le 29 mai 1913, quelques semaines après l'ouverture du Théâtre. Le Sacre du Printemps, d'Igor Stravinsky, y provoque "des"Oh" et des "Ah", soutenus par des sifflets à roulette, des trompes de bicyclette et de petits klaxons de poche dissimulés dans les smokings", ainsi que le rapporteGabriel Astruc, le premier directeur du théâtre.
Hué par le public conservateur en 1913, Stravinsky le sera de nouveau, le 22 mars 1945 par une poignée d'apprentis-compositeurs qui s'élèvent contre l'orientation néo-classique des Impressions norvégiennes présentées, ce jour, au Théâtre des Champs-Elysées. Emmenés par Serge Nigg, les jeunes contestataires usent à leur tour du sifflet à roulette... Ils appartiennent à la classe d'Olivier Messiaen, au Conservatoire, et seront renvoyés à leurs chères études, dans la presse, en étant taxés de "conformistes du non-conformisme".